15/10/19 . Séoul . 00h37 . Appartement de Sagong Lan.
Une frêle silhouette drapée dans un peignoir de soie caresse avec tendresse un cadre protégeant une photographie chérie. Sur cette dernière, un visage aux traits masculin souriant encore emprunt par les rondeurs adolescentes. Le lien de parenté est indéniable, même chevelures aile de corbeau, même teints porcelaine, même regards rieurs. Une belle complicité semble unir les deux personnes présentes sur cet instant immortalisé. Le cadre est ensuite délicatement reposé, les prunelles sombres se pose alors sur un tube à la couleur criarde et au design simpliste. L'on peut lire sur l'étiquette Secobarbital Sodium, quoi de plus simple pour un médecin de se procurer pareille substance. Mais pour quelle raison détient-elle pareille substance chez elle ? Au vu de son air décidé, la réponse semble claire, et l'issue fatale ....
...15/10/19 . Séoul . 00h40 . Appartement de Sagong Lan.
Le tube de médicaments a été ouvert, un verre d'eau est apparu, mais ne semble pas avoir été touché. Du papier à lettre semble aussi avoir été sorti et la main de la brune équipée d'un stylo se déplace frénétiquement sur la feuille qui devait être vierge il y a quelques minutes. L'air concentré et grave, elle livre ses dernières paroles : ses gloires, ses échecs, ses fiertés, ses regrets, sa vie ...
À toi mon fils, que j'ai aimé, et que j'aimeJe sais, tu dois déjà te demander en parcourant ces mots « Pourquoi s'adresse-t'elle de la sorte à moi ? Elle avait perdu la raison ? » . Ah mon Zhiaho, si tu lis ces mots, ce que ne suis plus là pour y répondre de vive voix ... Car oui, maman, n'est pas ta maman, tu le sentais au fond de toi n'est-ce pas ? Libre à toi de l’appeler comme tu le désires, comme tu l'as toujours fais ou alors... de passer à son rôle véritable selon les lois du sang, mamie. Que tu choisisses l'un ou l'autre je ne t'en voudrais pas, tu es bientôt un homme et tu es en pouvoir de faire tes propres choix...
N'était jusqu'alors que ta grande sœur, maman ne t'a jamais réellement parlé de moi si ce n'est que j'ai toujours été une tête et qu'elle espère bien que tu suives la même voie que moi. Au vu de tes résultats scolaire, et si tu continue ainsi, de nombreuses portes s'ouvriront à toi mon fils. Sache que je suis fière de toi et que je ne désire que ton bonheur et ta réussite et ce quelque soit le chemin que tu choisiras d'emprunter. Je te fais confiance pour te donner les moyens de vaincre l'adversité et d'être heureux dans ta vie.
Mais assez divagué, je dois te parler de moi et de ma vie. De ce qui m'a poussé aujourd'hui à en finir et de lâchement t'abandonner. Si tu savais comme je m'en veux .... Mais pour l'heure... parlons de moi ...
Tout commence le vendredi 13 septembre 1985, comme tu le sais depuis ce jour ce nombre est mon chiffre fétiche qui m'a toujours accompagné. Je n'ai guère d'autres choses à dire sur ce jour, je suis née, voilà tout. Tout comme mon enfance, si ce n'est que j'ai rencontré les mêmes problèmes que tu rencontres aujourd'hui. On n'aime guère les métisses ici, tu dois très certainement te demander pourquoi un prénom chinois alors que tu ressembles bien plus que moi à un Coréen... L'égoïsme mon fils, l'égoïsme. Mon adolescence non plus n'a rien de très intéressant à raconter, ou alors il faudra demander à maman ( mamie ?) de te distiller quelques anecdotes. Elle le fera avec plaisir j'en suis sûre, à moins qu'elle ne les aie oublié d'ici là ....
Non ce qui nous intéresse vraiment, c'est ma vie d'adulte, celle où j'ai enchaîné des choix plus ou moins discutables. Aurais-je fais différemment ? Je ne sais pas, avec de si on pourrait refaire un monde. Or la machine à remonter dans le temps n'existant pas ... Excuse-moi, je recommence à m'écarter du sujet.
J'ai décroché mon bac à 18 ans, tu aurais vu papy et mamie, ils étaient fiers comme si il n'était pas permis de l'être. Moi aussi je crânais avec ma mention très bien qui m'ouvrait toutes les portes des grandes universités. Comme tu le sais, c'est la médecine qui me tendait les bras, ou du moins... m'attendait avec une grosse batte cloutée. Car crois-moi, faire médecine, c'est comme faire la guerre on n'en ressort jamais en entier. Et avec 11 années au compteur, crois-moi, c'est un miracle que je sois encore aujourd'hui !
Mes premières années ont été studieuses, RAS, je n'attendais qu'une seule chose, arriver enfin à l'externat et pouvoir toucher du bout des doigts le monde du travail et se mettre dans le bain comme on dit. Et bien, pour être dans le bain... je l'ai été...
Moi qui avait toujours été une élève sérieuse se refusant aux amourettes pour ne pas interférer avec mes études, je suis tombée raide dingue de l'un de mes camarades de promo, et réciproquement d'ailleurs. Ce ne fut néanmoins pas une relation aussi joliment écrite que dans les dramas pour midinettes. Oh que non... Avec nos grandes gueules respectives
XXXXXXX et moi (oui j'ai préféré raturer, te connaissant, petite fouine maline que tu es tu aurais vite fais de remonter la piste et d'aller trouver ton géniteur qui ne sait bien évidement rien de ton existence. Mais je ne vais pas plus te « spoiler » comme tu dis. ) on passait le plus clair de notre temps à nous prendre la tête pour nous réconcilier à l'horizontale. Oui vas-y, fais une moue dégoûtée, je ris rien qu'en l'imaginant.
La suite, elle, est beaucoup moins légère que cette boutade. Nous, nous protégions et pourtant... et pourtant mes règles ne sont pas arrivées le mois d'après. Une semaine de retard, cela ne pouvait être que les stress .... Deux semaines, je n'avais pourtant pas perdu de poids pour voir mon cycle stoppé ainsi. 2 semaines et 5 jours, la tête dans les toilettes de l'hôpital à rendre petit-déjeuner, déjeuner et quatre-heures ... Il fallait que je me rende à l'évidence, le résultat sur le test de grossesse n'allait guère plaire à la jeune étudiante ambitieuse que j'étais. Un résultat positif plus tard, mon destin, nos destins étaient scellés tu serai mon fils et moi ta mère indigne...
Car comme tu t'en doutes, la jeune fille de 22 ans que j'étais n'a pas avorté. Je ne me sentais pas la force de le faire. Non pas que je juge les femmes qui le font, chacune devrait pouvoir jouir librement de son corps, mais moi... Non, je ne pouvais pas. Papy et mamie m'ont passé le savon du siècle quand je les aie appelé en pleurs, la culotte sur les chevilles et test de grossesse en main. À partir de ce jour, ils sont devenus les gardiens du secret familiale, j'accoucherai sous X, et une connaissance de la famille te déclarerai fils au lieu de petit-fils. Un petit manège bien rodé qui n'attendait que ta venue. Il ne me restait alors « qu'à» cacher ma grossesse jusqu'à son terme.
Le pseudo petit-ami ? Expédié. Exit les petits hauts serrés, bonjour les belles blouses vaporeuses sombres. Les premiers mois, te dissimuler au reste du monde était simple, trop simple même, j'en avais presque oublié ton existence, la niant en réalité... Mais lorsque mon ventre a commencé à s'arrondir, tu t'es rappelé à moi, semblant me crier « J'existe ! Regarde-moi ! ». Mais moi, mère indigne que je suis, je me suis contentée de détourner le regard, de bander toujours et encore plus serré mon ventre, de porter des gaines destinées à des femmes en mal de minceur. Je n'ose pas imaginer comment tu as du souffrir là-dedans. Parfois, je me demande si avec tout le stress que je t'ai causé à l'intérieur de mon ventre je n'ai pas contribué à ce que tu souffres d'une maladie. Car oui, cela ne suffisait pas de te compresser, j'avais continué à fumer, seul l'alcool avait disparu. Mieux encore, je m'affamais afin de ne pas prendre trop de poids.... Quelle mère exemplaire n'est-ce pas ?
Puis ce jour de juin, le 27 juin 2007 tu es né. Un jour supposé être joyeux pour une mère, mais moi ce n'était que la fin de mon calvaire et de mes dissimulations. J'avais profité d'une semaine de vacance après un stage pour me faire déclencher. Hélas pour moi, mon bassin n'était pas assez large pour te laisser j'ai à peine eu le temps de comprendre les mots « Césarienne d'urgence » que j'ai senti une lame pourfendre mes entrailles. L'instant d'après, tu étais là, offrant au monde ton premier cris. Et c'est là que je compris mon erreur en te voyant m'être enlevé... Putain Ô que oui cet enfant je l'aimais à en crever....
Je ne pu finalement faire ta connaissance que quelques jours plus tard. Que tu étais mignon avec tes petits cheveux de bébé tout ébouriffés et ton body bleu layette. Tu avais éveillé en moi la mère louve que j'avais jusqu'alors étouffé. Mais, il était trop tard pour revenir en arrière mon bébé... Mon fils, mon Zhihao, ma merveille... À peine le temps de profiter de toi, de me gaver de ton odeur, du contact de ta peau que je devais retourner à la réalité de mes études....
De retour en cours, la supercherie était totale, on m'avait juste raillé que mon petit-frère ne faisait pas ses nuits au vu de mon teint cadavérique. Ce que mes camarades ignoraient, c'est qu'en même temps qu'ils me taquinaient, mon corps se remettait encore de mon récent accouchement, et la plaie sur mon bas ventre me faisait souffrir atrocement... Mais plus que jamais, j'étais déterminée à devenir médecin, à ce que mes parents soient fières de moi, que TU sois fier de moi !
Les années se sont alors de plus vite enchaînées, m'entraînant dans une spirale infernale qui m'éloignait chaque jour un peu plus de toi... Me faisant rater ainsi toutes tes premières fois que bien des dizaines de vidéos ne rattraperont jamais ces instants manqués. Tes soins et tes rendez-vous chez les spécialistes venaient aussi s'ajouter à la liste de ce choses que je ne faisais pas. Car oui, tu étais né avec une insuffisance cardiaque et l'on devait te surveiller autant que le lait que l'on mettait dans ton biberon.
Ma dernière année, je ne suis même pas rentrée une seule fois pour te voir, coupée du monde avec ma thèse, mon second bébé, un de mes plus grands accomplissements. Un de mes plus grands échecs aussi, mais tu comprendras un peu plus loin pourquoi je dis ça ici... Je me rappelle comme si c'était hier ma soutenance de thèse. Telle une lionne j'avais soutenu ma thèse devant un jury qui était sceptiques au départ devant son titre pompeux :
De la Dégénérescence neuronale impactée par Alzheimer et ses pistes de traitements expérimentaux . Toutefois, tu aurais vu leur tête lorsque j'ai exposé mes idées, c'était GRAN-DIOSE ! Je les ai mouchés ces péteux et décroché la meilleure note de ma promo avec ça ! Et voilà que j'étais devenue quelques semaines plus tard en cette année 2014 neurochirurgienne-chercheur au sein du réputé Clover Hospital !
Ce que j'ignorais alors à l'époque c'est que mon travail salué par mes pairs allait m'attirer des ennuis, de très gros ennuis... Je prends des pincettes en t'écrivant tout ceci. S'il te plaît, je t'en conjure, je cherche à t'expliquer ce qui m'a poussé à en arriver là, pas que tu te mettes en danger... Donc, ne cherche pas à savoir ce qu'est exactement cette organisation ou ce qu'elle fait... Tout ce que tu dois retenir c'est que si j'ai fais ceci, c'était pour te sauver, pour que tu aies ce cœur qui bat dans ta poitrine mon chéri.... Car sans ce pacte avec le diable, tu serais sans doute pas là aujourd'hui.... L'année dernière, tu étais très loin dans la liste d'attente de greffe alors que tes jours se comptaient en mois au mieux, en semaines si ton état se dégradait encore... J'ai donc triché, j'ai pipé les dés et j'ai vendu mon âme et mon savoir à cette sombre organisation...
Mais aujourd'hui, je peine encore à me dire que je dois y retourner demain... Passer à côté d'une salle où l'on torture des humains au nom de la science, au nom de la vie... NON ! Je ne peux plus, je ne veux plus continuer à cautionner tout ça ! J'ai trop mal agis, je dois racheter mes fautes en les lavant par ma mort.....
C'est ici que je te fais mes adieux finals... Soit heureux Zhiaho, vis-ta-vie comme tu l'entends, sois-fier de toi, accomplis de grandes choses, vis une longue vie .....Je t'attendrais patiemment de l'autre côté ...
Avec toute ma tendresse et mon amour
Maman
15/10/19 . Séoul . 02h21 . Appartement de Sagong Lan.
Le tube a été soigneusement refermé, les médicaments épargnés. Les larmes ruissellent encore sur les joues de la brune qui regarde le papier en train de brûler. Témoin silencieux de cet appel à l'aide et d'amour maternel, il est maintenant la victime malmenée par les flammes. Dans les prunelles sombres, une flamme nouvelle brille .... Celle du changement et de la volonté retrouvée. La mort ne viendra pas encore faucher son âme ce soir, elle se battra pour tous ces cobayes malmenés, elle se battra pour sa mère, elle se battra pour son fils, elle se battra pour la Vie !