dancing child with an angel face + Dae-hyun

Dans ses rêves, Dae-hyun revoit souvent son enfance, images heureuses entrecoupées de scènes malheureuses. Il se revoit dansant sur les pieds de sa mère, ses mains enserrant sa taille et ses yeux rivés sur leurs chaussures pour ne pas tomber. Il se revoit assis sur les genoux de son père pendant le petit-déjeuner, lisant avec lui le journal sans comprendre les mots qui glissaient sous ses yeux. Il se revoit jouant avec son frère, courant derrière lui dans le jardin ou tapant dans un ballon pour marquer des buts. Il entend les rires, mais il entend aussi les pleurs et les cris. Les siens, pour la plupart, lors de ses caprices enfantins et ridicules. Ceux de sa mère, aussi, quand son père était absent et qu'elle pensait que ses fils ne pouvaient pas l'entendre. Déjà à cette époque il en voulait à son père de la faire pleurer, même s'il ne comprenait pas. Il était trop jeune, trop éloigné des logiques et des sentiments adultes. Son papa lui manquait et il voyait qu'il manquait à sa maman, ça s'arrêtait là. Son aîné, lui, admirait leur père, voulait devenir comme lui et ne pleurait presque jamais quand il repartait en mission. Dae non plus, ceci dit, mais simplement parce qu'il était trop occupé à hurler pour que son père reste, évacuant colère et tristesse en caprices qui restaient sans réponse. Parce que son père devait faire son devoir. Parce que l'Amérique comptait sur lui. Sauf que sa famille aussi comptait sur lui...

À l'école, Dae a toujours été un enfant difficile. Ses colères familiales se répercutaient sur ses amitiés enfantines, et il jouait des poings dès que les autres garçons disaient ou faisaient quelque chose qui lui déplaisait. Il enchaînait les avertissements et les renvois, était une déception pour sa mère et essuyait les reproches de son père quand il rentrait et entendait parler de ces incidents. Mais qui était-il pour lui faire la leçon, lui qui n'était jamais là et qui était la cause de ces crises ? Il n'avait pas le droit de le punir, de le rabaisser en lui disant qu'il était la honte de la famille. Il n'avait aucun droit, sinon celui de les nourrir et de repartir en mission. Dae et Chris se disputaient souvent à ce propos, l'un essayant de calmer l'autre qui ne comprenait pas son admiration. Comment pouvait-on vouloir devenir un tel père ? Absent, autoritaire, sec. Que voyait-il en lui que Dae ne voyait pas ? Oui il était courageux et brave et fort et... mais il délaissait sa famille. Il délaissait ses fils au profit d'inconnus. Où était la justice, là-dedans ?

L'adolescence de Dae fut tout aussi compliquée. Quand son père rentrait de mission, c'était pour se disputer avec sa mère, lui faire des reproches et essuyer ceux d'une femme délaissée. Les cris et les insultes fusaient. Dae ne supportait pas ça, voulait défendre sa mère, protéger cette femme qui sacrifiait sa vie pour ses enfants, cette mère qui attendait docilement le retour de son époux. Son frère le retenait souvent d'intervenir, mais parfois Dae parvenait à se glisser entre ses parents. Et parfois une gifle masculine le calmait et le renvoyait dans sa chambre, larmes aux yeux et colère dans les tripes. Plus les années passaient et plus il espérait que tout finisse, que sa mère quitte enfin son père et qu'ils puissent vivre heureux, tous les trois. De toute façon, leur père n'était jamais là, alors quelle différence s'il partait définitivement du domicile familial ? Il avait seize ans quand la décision fut prise. Il ne su jamais si c'était celle de sa mère ou de son père, mais ils demandèrent le divorce. Dae, mineur, n'eut d'autre choix que de suivre sa mère ; et quand bien même l'aurait-il eut, il l'aurait choisie elle. Il s'était attendu à ce que Chris vienne avec eux, mais ce dernier était majeur et avait décidé de rester en Amérique avec leur père tandis que Dae et sa mère retournaient à Séoul.

Le moins que l'on puisse dire est que Dae en a voulu à son aîné de les laisser seuls. Il ignorait ses messages, filtrait ses appels et brûlait les lettres qu'il lui envoyait en désespoir de cause. Sa mère était déçue, c'était vrai, mais il ne pouvait faire autrement. Elle aurait voulu que ses fils restent unis, parce qu'elle avait toujours été la bonté incarnée et qu'elle ne voulait pas préférer l'un à l'autre. Elle défendait Chris quand Dae le critiquait et suppliait son dernier né de lui pardonner et de comprendre. De se mettre à sa place. Mais Dae n'était pas le plus empathique de ses fils, et il était incapable d'imaginer ce que pouvaient ressentir les autres. Ou peut-être ne le voulait-il pas. Il acheva le lycée à Séoul en parallèle de son apprentissage au garage de son oncle. Il avait décidé de l'aider après que ce dernier ait perdu son mécano et, finalement, il a été engagé, s'entendant bien avec cette nouvelle figure paternelle et appréciant de mettre les mains dans le cambouis. De plus, ça lui permettait de ramener quelques wons à la maison pour aider sa mère qui officiait comme femme de ménage depuis leur retour au pays.

Les années passèrent, Dae devint de plus en plus doué pour la mécanique automobile tandis que la santé de sa mère se détériorait. La fatigue s'emparait de son corps et ses muscles ne répondaient plus toujours. Ils n'avaient pas les moyens pour aller à l'hôpital et la soigner, alors elle cessa de travailler et Dae sacrifia ses projets d'université pour faire de son boulot temporaire un travail définitif. Il n'avait pas beaucoup d'amis et ne s'en plaignait pas, il n'avait pas le temps. Il travaillait tous les jours jusqu'au soir, devait encore faire les courses et le ménage, préparer à manger pour sa pauvre mère. Quand voulez-vous qu'il case un rencard ou une sortie entre potes ? Il se couchait épuisé et se levait aux aurores avec des cernes sous les yeux. Il n'était pas beau à voir, ne faisait pas tomber les filles et n'était pas assez riche, drôle ou gentil pour que des prétendants au titre d'amis se bousculent à la porte de son garage.

Dae avait vingt-deux ans quand, un jour en rentrant, il trouva sa mère en pleurs. Il comprit vite que quelque chose n'allait pas, se demanda qui était mort tout en priant pour que ça soit juste un chat qui ait éveillé la sensibilité exacerbée de sa pauvre mère. Mais ce n'était pas un chat. Ni un autre animal, d'ailleurs. C'était son père, mort en mission. Voulant avoir confirmation, Dae téléphona à son frère, entendant sa voix pour la première fois depuis presque cinq ans. Ils parlèrent. Calmement d'abord, puis de plus en plus agressivement. Dae ne pouvait s'en empêcher, il en voulait à son aîné d'être parti et lui reprochait maintenant en plus de ne pas être celui qui avait informé leur mère. La pauvre l'avait appris au journal télévisé, une info banale pour le présentateur qui ne réalisait pas que ses mots brisaient des vies. Ils criaient, s'insultaient et se faisaient des reproches, jusqu'à ce que les mots sortent de la bouche de l'aîné. Leur père était mort pour sauver Chris, ou comment faire fermer son claquet à un Dae choqué. Choqué que son père se soit sacrifié, choqué que Chris soit toujours là. Et en colère. Parce que son frère les avait abandonnés, sa mère et lui, et que maintenant il les privait de leur père. C'est à ce moment que Dae réalisa qu'il n'avait jamais perdu espoir, qu'il avait toujours rêvé que, un jour, son père quitte l'armée et revienne les chercher. Et maintenant c'était impossible. À cause de Chris.

Il du faire son deuil, lentement mais sûrement, et coupa à nouveau les ponts avec Chris. Sa mère s'en remit mal, sa santé se détériorant encore plus, mais elle s'en remit. La vie reprit son cours, Dae ramenant l'argent et sa mère le priant de manger plus alors qu'il se privait pour elle. Aux alentours de son vingt-troisième anniversaire, pourtant, tout dérapa à nouveau. Dae eut la surprise de trouver sur le pas de la porte son aîné, bagages en mains et enfant dans les bras. Bien sûr, il savait avoir une nièce, sa mère lui avait dit quand elle était née. Quand elle avait été baptisée. Quand elle a fêté son premier anniversaire. Quand elle a commencé à marcher... Dae se fichait de la môme comme de la première pluie, mais il savait tout d'elle à force d'entendre sa mère lui en parler. Encore, et encore, et encore. Il faisait déjà une overdose de Lexie avant son arrivée, et voilà qu'elle débarquait dans sa vie. Dae ne voulait pas d'elle, ne voulait pas de Chris. Il n'avait pas besoin d'eux et eux n'avaient pas besoin de lui. Ils n'étaient plus une famille, ne portaient même plus le même nom depuis que Dae avait changé pour celui de leur mère à sa majorité. Ils n'avaient simplement rien à faire ensemble. Ils étaient frères sur le papier, et Lexie était sa nièce, mais pour Dae ils n'étaient rien. Rien de plus que des gens qui venaient rendre visite à sa mère et lui disaient bonjour poliment quand d'aventure ils se croisaient dans la rue.