Minuit dans les couloirs de la fac... - Ren feat Hei

L’université n’est pas un endroit particulièrement effrayant. Je dirais même que je m’y sens comme chez moi mais si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas choisi d’y enseigner. Avec le bagage que j’ai, j’aurais très bien pu travailler n’importe où mais je ne sais pas… je crois que je suis bien trop attaché à la recherche et au cadre ainsi qu’au confort qu’elle m’apporte.

Pour cette nuit, allez savoir pourquoi il se dégage des lieux quelque chose d’étrange. Ce n’est pas comme d’habitude. Ce n’est pourtant pas la première fois que j’y viens en pleine nuit quoique… peut-être pas à cette heure-ci et certainement pas dans un pareille contexte.

Heiva gare sa voiture dans le parking réservé aux enseignants, sur la place que je n’utilise jamais puisque j’ai fait le choix de ne pas avoir de voiture à Séoul. C’est comme à Tokyo, c’est l’enfer pour circuler et se garer alors je préfère éviter. Mais puisque ma nouvelle amie avait la sienne et qu’elle était partante pour m’accompagner, autant en profiter.
« Vraiment merci de gâcher ta soirée en m’accompagnant ici. »
Je lui adresse un sourire rempli de gratitude alors que je retire ma ceinture de sécurité.
« Le département langues et sciences humaines se trouve dans ce bâtiment là-bas, on en a pas pour longtemps promis. Juste le temps que je m’assure que tout est ok. »
Il n’y a rien de bien précieux, du moins pour des voleurs classiques mais je doute que de vieux parchemins intéressent qui que ce soit d’autres que moi et quelques collectionneurs.  

Alors que nous nous éloignons de la voiture, je remarque que le parking mais également le chemin jusqu’au bâtiment est bien moins éclairé que d’habitude. Ce n’est sans doute qu’un détail sans importance mais j’avoue que l’université me parait un poil plus glauque sous ce nouvel angle mais peut-être que lorsque je la quitte après avoir travaillé jusque tard, je suis trop pressé pour m’arrêter sur ce genre de détail. Enfin j’imagine que c’est le moment pour moi de faire un trait d’humour histoire de relacher la soudaine pression qui s’empare de moi. Et je dois avouer que je me pose mille et une questions sur l’état dans lequel je vais retrouver mon labo…
« Tu comprends maintenant pourquoi il vaut mieux que je sois gay. Ce n’est franchement pas l’endroit où emmener une fille pour un premier rendez-vous. »

J’ai tendance à oublier qu’elle est dans la police. Qui pourrait croire en la voyant ? Mais comme on dit, il ne faut pas se fier aux apparences et je suis bien placé pour le savoir. Après tout, je ne ressemble absolument pas à un prof avec mes piercings et mes tatouages. Et sûrement pas à un éminent linguiste.

Sa réponse à ma blague me surprend agréablement mais me fait également sourire. Une fan d’urbex, de l’horreur et du paranormal ? Parfait ! Allons nous faire quelques frayeurs dans les couloirs de cette université.
« Dans ce cas, on peut dire que je ne suis pas si mauvais que ça pour mon premier rencard avec une fille. »
Je lui tends alors mon bras à la manière d’un gentleman en lui disant :
« Très chère amie, mon antre ce trouve de ce côté-là. »
Forcément, il s’agit du couloir le plus obscure et le moins engageant ! Sinon ça n’aurait pas été drôle. Je presse sur le bouton de l’éclairage mais il semble capricieux ce soir car après s’être allumé quelques secondes, il s’éteint aussitôt à la manière d’un film d’horreur. Génial ! J’adresse un regard à ma compagne de la soirée et hausse les épaules. Il en faut plus pour me décourager et me faire peur. Je crois que c’est aussi son cas.
« Heureusement je connais les lieux par cœur et puis dans le noir, ça sera plus drôle. »
Je lui adresse un clin d’œil tout en commençant à m’enfoncer dans l’obscurité du couloir. Quelle est la probabilité qu’il nous arrive quelque chose ? Je ne sais pas, elle doit frôler les zéros à moins que celui qui s’est introduit dans mon labo soit encore dans le coin…
« Alors c’est au bout du couloir, on va passer deux portes et ensuite, on va monter deux étages. Le plus dur sera de ne pas se casser la figure dans les escaliers. »
Encore et toujours de l’humour. En même temps ça aide à rester courageux surtout quand nos pas résonnent de cette manière dans le couloir et donnent l’impression qu’il y a plus de deux personnes qui déambulent dans le noir…  

Une lampe de poche ? Parfait ! Ce sera quand même plus pratique que la fonction lampe de nos téléphones portables. En tout cas le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est prête à faire face à toutes les situations. Elle n’est pas dans les forces spéciales pour rien. Je suis impressionné et rassuré également de l’avoir à mes côtés même si je reste persuadé qu’il ne se passera absolument rien. Après tout, qui pourrait se tapir dans l’obscurité et nous sauter dessus sans raison ? Personne…  Sauf si comme elle le pense quelqu’un s’est introduit dans mon laboratoire de recherche et s’avère responsable de cette soudaine obscurité. C’est quand même un peu gros. Je suis linguistique, je ne travaille pas dans un domaine particulièrement propice à ce genre d’aventure. Et pourtant en y réfléchissant…
« Rien que des vieux rouleaux et manuscrits. Ils sont précieux pour un collectionneur ou un chercheur comme moi, pas pour monsieur tout le monde même si… »
Je m’interromps quelques secondes le temps de réfléchir avant d’ajouter :
« Peut-être que ça se vend sur le marché noir ? »
A vrai dire je n’en ai pas la moindre idée mais on sera fixé une fois que j’aurais vu si quelque chose à disparu ou pas. Si ça se trouve, c’est juste des étudiants qui ont essayé de choper les sujets du prochain exam’… Je ne suis pas très convaincu par cette théorie mais pour le moment on ne peut être sûr de rien.

Nous avons traversé le couloir et passé les deux portes sans encombre. Il ne nous reste qu’à monter les deux étages mais avec sa lampe de poche, c’est un vrai jeu d’enfant. Heureusement que nous n’avons pas trop bu avant, sinon j’aurais été capable de rater une marche. Je suis assez maladroit par moment.
« Nous y sommes… »
Le second étage, mon antre en quelques sortes. Il y a quelques salles de cours mais surtout mon bureau et mon laboratoire de recherche. Je ne suis pas le seul à y avoir accès. Il y a également les étudiants dont je supervise la thèse et d’autres collègues chercheurs. En passant devant mon bureau je lui montre mon nom inscrit sur la porte avant de la guider vers une double porte. Je la déverrouille avant de lui dire :
« Attends une minute que je regarde si la coupeur de courant à désactivé l’alarme. »
Je pousse la porte puis entre, me dirigeant directement vers le petit clavier accroché au mur. Il semble désactivé. C’était à prévoir.
« Tu peux entrer. Bienvenu dans mon antre. »
Ça porte le nom de labo de recherche mais ça ressemble à une bibliothèque avec toutes ces étagères de livres anciens, ses tables de travail et ces quelques ordinateurs.
« C’n’est pas très excitant hein. »
C’est la pièce principale mais il y en a une autre de la taille d’un bureau. C’est là bas que sont rangés les documents les plus rares, les plus anciens mais surtout les plus fragiles.
« C’est sans doute l’une de ses fenêtres qui étaient ouvertes mais il n’y a rien de passionnant ici. Le plus croustillant se trouve dans l’autre pièce et là encore, je ne pense pas que ça ait de la valeur pour n’importe qui. »
Il fait très sombre mais heureusement avec la lampe d’Heiva, on y voit quand même un peu. Cela dit, si quelqu’un se cache ici, c’est à peine si on le remarquerait.

Je ne cesse de penser à ce qu’elle m’a dit tout à l’heure. Un réseau de chasseur de trésor démantelé depuis peu ? On se croirait dans un film et pourtant, c’est bien réel. Ce genre de chose, c’est un peu son quotidien et c’est ce genre de détail qui nous fait réaliser à quel point nous vivons dans deux mondes complètement différents mais cela ne nous empêche pas de bien nous entendre. Du moins pour le moment, après tout on vient tout juste de sympathiser et pourtant nous voilà déjà parti à l’aventure ensemble ! Même si de mon point de vu, il n’y a rien de très palpitant ici mais je me trompe peut-être…  

J’esquisse un sourire en constatant que ma compagne d’un soir apprécie le décor qui nous entoure. C’est mon quotidien, c’est ce que j’aime et j’oublie parfois la chance que j’ai, même si pour beaucoup de gens, ce ne sont que des vieux livres poussiéreux.

Je pose ma main sur la poignée de la porte qui sépare la salle principale du petit bureau attenant et découvre avec surprise qu’elle n’est pas verrouillée. Je fronce les sourcils mais ne dit rien. C’est peut-être le gardien quand il est passé tout à l’heure ?

La pièce est fraiche et est en permanence climatisée du moins quand le courant fonctionne. Les collections entreposées ici doivent être gardée dans une température optimale pour assurer leur conservation. Voilà pourquoi ça me surprend qu’une fenêtre ait pu être laissée ouverte mais qui sait ? Je ne suis pas le seul à utiliser cette pièce et une étourderie arrive bien vite.
« Je vais m’assurer qu’elles sont bien fermées. »
À première vue, on dirait que rien n’a bouger mais c’est assez difficile à dire à cause de l’obscurité. Il faudrait procéder à un inventaire minutieux pour voir si quelque chose à disparu. Je m’approche des fenêtres et effectivement elles sont très mal fermées. Quelqu’un a oublié de les verrouiller. J’en ouvre une et passe la tête dehors, ce que je n’avais encore jamais fait d’ici. Je remarque que le rebord est étonnement large et qu’on pourrait facilement passer d’une fenêtre à l’autre. Enfin, je m’égare et alors que je chasse ces étranges pensées de mon esprit, un bruit attire notre attention. Quelque chose vient de tomber dans l’autre pièce. Je rentre immédiatement la tête, referme la fenêtre et interroge ma nouvelle amie du regard à travers la pénombre. Ce bruit… il y a quelqu’un dans l’autre salle…

Heiva a déjà sorti son arme. On sent le flic en elle. Mon père était dans la police alors on peut dire que j’ai pour ainsi dire grandi dans ce milieu alors je reconnais bien les policiers de sa trempe. Elle n’est pas dans les forces spéciales pour rien. Mais si elle croit que je vais rester sagement là, elle se trompe. Elle ne me connait pas encore. C’est plus fort que moi, je ne peux pas rester sans rien faire et ça n’a rien à voir avec mon égo de mâle. Je dirais que ça tient davantage de mon goût de l’aventure et de danger. Est-ce que ma vie de professeur est-elle à ce point ennuyante ? Je ne dirais pas ça. Juste que j’ai le goût pour ce genre de chose et je compte bien la suivre là où elle ira. En plus je ne pourrais jamais me le pardonner s’il lui arrivait quelque chose à cause de moi. Après tout, elle est ici par ma faute.
« Non, hors de question que je te laisse y aller seule. Je connais cet endroit comme ma poche. Tu vas avoir besoin de moi. »
Cette université est un vrai labyrinthe avec pas mal de raccourcie et ça m’étonnerait que celui qui est tapi dans l’ombre la connaisse aussi bien que moi. Alors autant profiter de notre avantage.
« Mais si ça peut te rassurer, je resterais en retrait et je ne prendrais aucun risque. Je ne veux pas être une gêne pour toi. »
Juste une aide. D’ailleurs nous n’avons pas vraiment le temps d’en parler davantage car il y a comme du mouvement dans la salle et on ne tarde pas à recevoir quelques vieux livres dans la figure avant d’entendre la porte du laboratoire s’ouvrir. Il tente de fuir et j’ai une petite pensée pour tous ces livres éventrés sur le sol qu’il me faudra tenter de sauver demain… Mais pour l’heure, l’intrus tente de prendre la fuite et je crois qu’on est parti pour lui courir après dans les couloirs obscurs de la fac.

Elle finit par céder. D’un autre côté, je sais me montrer obstiné et quand j’ai une idée en tête, rien ni personne ne peut m’en faire démordre. Plus jeune, ce trait de caractère m’a valu quelques ennuies et mésaventures mais avec du recule je n’ai aucun regret. Il faut savoir prendre la vie comme elle vient et ne pas décliner les aventures qui pourraient attendre au détour d’un couloir. La vie est trop courte pour ça même si elle peut s’arrêter à tout moment. J’en ai conscience, c’est la raison pour laquelle je saurais me montrer prudent et raisonnable. C’est elle le flic, moi je ne serais que son expert et son guide.

J’ai une pensée pour tous ces livres anciens qui finissent au sol et que nous piétinons malgré nous. J’en aurais du boulot demain… Quoique… je vais coller mes étudiants de dernière année à la tâche. Ça leur permettra de s’initier à la restauration d’un livre ancien. En attendant nous nous lançons à la poursuite de l’intrus et lorsque Hei me dit qu’il va essayer de sortir par la première issue qu’il trouvera, je la tire dans l’autre direction :
« Il y a des escaliers tout près. On ira plus vite en les empruntant et on perdra moins de temps que lui. »
En plus je me dis qu’en voyant que nous ne sommes plus à sa poursuite, il ralentira l’allure pour prendre le temps de retrouver son chemin dans ce labyrinthe.

Nous dévalons les escaliers à vive allure et débouchons directement sur une sortie de secours.
« En contournant le bâtiment, on devrait réussir à l’avoir. »
C’est dans ce genre de moment que je suis content d’être sportif et d’avoir assez de souffle pour suivre son allure de flic entrainée. D’ailleurs j’avais raison, nous arrivons à proximité de l’entrée de bâtiment au moment où l’intrus surgit. Est-ce que nous allons réussir à lui mettre la main dessus ? Je n’en ai pas la moindre idée…

Il est piégé. Nous l’avons rattrapé en contournant le bâtiment et puisque Hei est armée, il n’a plus aucune chance de s’échapper. Une foule de question se bousculent dans mon esprit. Qui est-il ? Que faisait-il dans mon laboratoire de recherche ? Qu’était-il venu voler ? Aurais-je un jour les réponses à toutes ces questions ? Je l’ignore et pour le moment je préfère rester en retrait. J’ignore si ce type et dangereux alors il vaut mieux laisser Hei s’en occuper. C’est une pro qui sait ce qu’elle fait et puis je risquerais de la gêner en voulant en faire trop. Bien sûr, je ne suis pas sans défense mais mieux vaut ne pas m’en mêler pour le moment.

L’homme semble hésiter. Enfin je suppose que c’est un homme. D’où je suis, avec l’obscurité et sa capuche, c’est difficile à dire. Hei a l’air d’avoir la situation bien en main alors je décide de prendre mon téléphone portable pour appeler la police. J’imagine que du renfort ne sera pas de refus et puis il faudra officialiser l’arrestation.

L’intrus lève les mains en signe de soumission et alors que nous nous approchons de lui, il nous balance son sac rempli de ce que je suppose être son butin. Profitant de l’effet de surprise, il reprend la fuite et disparait cette fois-ci dans l’obscurité. La police va arriver et je crois que nous ne pouvons plus rien faire cette nuit. Je ramasse le sac tombé à nos pieds et l’ouvre pour en examiner le contenu.
« Ce sont des rouleaux que le musée m’avaient prêtés pour que je puisse les traduire. En l’état je ne peux pas te dire s’il en manque ni de quoi ils parlent. Je dois les examiner plus attentivement mais j’imagine que sur le marché noir, ils doivent avoir de la valeur. »
Je lui adresse un sourire et ajoute :
« Merci Hei. Même si on ne l’a pas arrêté, on l’a au moins empêché de volé ces rouleaux qui font quand même parti du patrimoine coréen. »

J’acquiesce à ses recommandations. Je crois que je ne suis pas prêt de rentrer chez moi car un gros boulot m’attend et il vaudrait mieux que je m’y mette dès que possible de sorte d’être capable de donner un maximum de détail sur ce qui a pu être volé ou endommagé demain quand je porterais plainte. En effet, il est possible qu’il ait malgré tout pu emporter quelque chose. Mais je crois que l’essentiel est sauvé et c’est grâce à Hei. Je pense que sans sa présence et son aide, j’aurais été bien moins intimidant qu’elle et puis je n’aurais peut-être pas été capable de prendre les bonnes décisions.
« Je demanderais à l’université de renforcer la sécurité du labo. Surtout lorsque je travaille sur des documents aussi rares et précieux. »
J’hésite un instant puis lui dit :
« Mieux vaut que je reste ici avec toi pour le moment au cas où ils aient besoin de voir le labo tel quel. Parce que je me connais, si je remonte tout de suite, je vais avoir envie de tout ranger. »
Je lui adresse un sourire avant que nous n’allions attendre la police dans le parking. Quelle drôle de soirée quand même. Quand je pense que tout à commencé par un simple verre dans un bar avant de se terminer en course poursuite dans les couloirs de la fac. Mais j’imagine que rien de tel pour se lier à quelqu’un que de partager une aventure comme celle-ci.