Deal With the Devil

Minuit passé, Séoul, la nuit comme à son habitude en période estivale était chaude et humide en ce mois d'août 2018. Accoudée à la rambarde de son balcon, la brune tirait furieusement sur sa cigarette comme si cette dernière avait le moindre pouvoir d'exorciser les démons que l'on tentait de recracher par le nuage de fumée. Les paroles étaient encore très claires dans l'esprit de la Coréano-Chinoise, elles lui vrillaient même désagréablement les tempes. À moins que ce n'était la rage de l’impuissance qui sillonnaient doucereusement le long de son échine et se délectait de ses entrailles. Un coup de poing rageur est violemment asséné sur la rambarde qui n'avait rien demandé et un chien se mit à aboyer, probablement surpris par ce bruit inattendu. Exaspéré, Lan lui avait rétorqué d'aller «Se faire foutre. » tout en écrasant son mégot dans son cendrier fétiche. Une horreur en pâte à sel dont le créateur aux goûts discutables, artiste autoproclamé de 4 ans avait repeint le tout d'une couleur verte criarde et écrit en jaune canari « Pour Noona ».

Mais, pour en revenir aux mots qui s'écoulaient encore en maux dans l'être de la neurochirurgienne ils étaient ceux du spécialiste qui suivait Zhihao. « Si votre frère n'est pas greffé au cours des prochains mois, il ne dépassera pas la fin de l'année. Et encore, ce serait bien trop optimiste.... Pour tout vous dire docteur Sagong, je ne donne que 2 ou trois mois, voir quelques semaines dans le pires des cas à vivre à votre petit-frère.... » Ces mots, elle en prononçait aussi souvent, elle savait à quel point il était difficile d'annoncer aux famille que les jours de leur proche étaient comptés, qu'il y avait peu d'espoir ou alors qu'il fallait déjà se préparer au pire. Quand on devient médecin, peut importe la voie, on désire sauver des vies avec la farouche intention de repousser la faucheuse avec tous les moyens mis à disposition par le progrès. Mais c'est alors que la Vie, mécanisme presque mystique dont on a à peine percé un dixième de ses secrets vient nous rappeler qu'elle est toujours aux côtés de celle sans qui elle ne pourrait exister, la Mort....

Un fait inéluctable, une entité crainte de tous et qui vous emporte qui que vous soyez. Une allégorie que Lan n'avait jamais encore côtoyé au sein de la sphère familiale, une nouvelle qu'elle n'était absolument pas prête à entendre. Ce  gamin n'avait que 11 ans, toute sa vie devant lui encore, mais il était là, déjà presque résigné sur sa chaise, sachant très bien ce qu'il se disait dans le bureau dont on l'avait chassé pour « parler entre adultes. ». La fleur n'aimait pas la gravité qui s'était déjà empreinte sur le visage encore rond de celui qui avait passé 9 mois de son existence dans son ventre. Lui aussi savait qu'il ne passerait pas l'hiver, et ce à cause d'un cœur pas fichu de fonctionner correctement malgré tous les traitements qu'on pouvait bien lui donner...

Graisser la patte aux administrations afin de faire monter le dossier de son fils, elle y avait déjà pensé, mais bien que chirurgien, il ne fallait pas abuser non plus, elle était bien loin des grandes fortunes capable de se payer pareil miracle ! Non tout ce qui lui restait, c'était espérer qu'un donneur compatible veuille bien décéder  pas trop loin de l'hôpital où elle travaille et que son cœur ne soit pas promis à un autre que Zhiaho. Attendre...Une chose que cette pile électrique n'a jamais su comment faire, l’inaction n'étant pas dans son caractère. Mais là... Elle était impuissante face à un mur infranchissable et indestructible.

Toute à sa rage, elle n'avait pas remarqué le bruit de sa porte d'entrée qui s'ouvre et se referme. Porte pourtant bien verrouillée à clef, Lan vérifiant bien à deux fois ,ou trois on n'est jamais trop sûr. Une ombre d'une bonne carrure oscillait félinement entre les meubles, l'observant très certainement en train de creuse une tranchée imaginaire sur son balcon en faisant les cent pas. Proie inconsciente, elle se jeta dans la gueule du loup en faisant volte-face, tombant nez-à-nez avec.....  « Mr Iced Americano ? »

Toute à ses pensées cahoteuses, la brune en plein désarroi avait laissé s'introduire chez-elle un bien drôle d'individu. Une silhouette qui ne lui était pas inconnue puisqu'elle l’apercevait à chaque fois qu'elle se faisait servir son breuvage préféré dans ce café qu'elle aime fréquenter. Dans d'autres circonstances, elle aurait certainement aimé croiser ce visage familier, mais pas avec ce sourire inquiétant qui illuminait d'une effrayante façon les prunelles froide de l'homme qui surplombait la frêle créature face à lui. C'était la première fois que Lan entendait le son de la voix et une petite voix en elle se demandait si ce ne serait pas la dernière …

Avoir une idée de ce qu'il pouvait bien faire ici ? Non, nullement. Enfin si ce n'est que les armes apparentes et l'air menaçant du gaillard ne présageaient rien de bon. Dans d'autres circonstances, elle lui aurait bien rétorqué qu'elle n'en n'avait aucune idée et qu'elle le priait de vouloir quitter les lieux. Toutefois, certains … arguments ? Étaient indiscutables... De plus la réponse n'avait pas tardé à se faire connaître, ou du moins tendre par une main large. Tout s'embrouillait dans l'esprit de la neurochirurgienne. Qui était ce mystérieux Mr K ? Quel pacte ? Pourquoi on déboulait ainsi chez elle alors que tout aurait pu se faire à l'hôpital ? Non, elle se trompait, impossible que pareil cirque ne se produise dans les couloirs aseptisés du Clover Hospital.

Elle se ressaisit et attrapa enfin l'enveloppe qui lui était tendue. Sa voix quant à elle, s'était décidée à enfin se souvenir de comment elle pouvait sortir.«  Permettez-moi de lire ce fameux pacte... » L'autre s'en doutait très certainement, mais tout ce que cherchais le médecin, c'était à gagner du temps. Et puis, il fallait dire que toute cette sinistre mise en scène l'avait intrigué et que les explications qu'elle attendait devaient fort probablement se trouver à l'intérieur. Bien évidement, point de lettres calligraphiées, mais plusieurs feuillets et une lettre rédigés par les prouesses informatiques. Un choix sage lorsque l'on recourait au genre d'individu qui veillait sur elle d'un œil froid.

On l'y informait en effet d'un.... « arrangement pour bons services rendus », de ses capacités, de sa thèse qui avait attiré l'attention de ce fameux Mr K, de …. Son visage devint livide en lisant le mots « fils » et « maladie ». Elle n'avait pas besoin de lire la suite, ce qu'elle fit tout de même le reste de l'écrit validant ses suppositions. Ce que l'on lui proposait, c'était le rêve de tout scientifique. Un budget illimité pour la recherche et un oubli total de toutes les conventions éthiques qui mettaient bien souvent des bâtons dans les roues de la science, le tout pour sauver son fils.... Une offre en or qu'elle ne pouvait refuser, ne serait-ce que pour sauver Zhihao... Mais comment s'arranger avec sa conscience ? Son Humanité ? Ce pourquoi elle était devenue médecin...

Elle releva les yeux vers l'homme qui n'avait pas bougé d'un iota. « Je suppose, et j'espère que Mr K doit vous payer grassement pour lui assurer ce service. Car vous le faites fort bien ... » Les mains bien en évidence devant elle, elle se dirigea vers sa table basse où trônait sur un mots fléchés son stylo fétiche, cadeau qu'elle avait reçu de ses parents après avoir terminé ses études de médecine. Après l'avoir saisi, elle se mit à jouer nerveusement avec. « J'aurais préféré entendre votre voix pour la première fois dans d'autres circonstances... enfin bon, on n'a jamais vraiment le choix dans la vie. » Le contrat pas encore lu, une idée assez saugrenue se présenta à Lan. « Dites-moi, le temps que je lise ce fameux contrat, seriez-vous tenté par un café ? »

Lan tombait des nues à la lecture de ce contrat, cette soirée lui paraissait tout à coup irréelle. Peut-être était-elle en sueur au fond de son lit à implorer un réveil qui ne vient pas assez vite ? Toutefois, un coup d’œil rapide à ses mains lui indiqua qu'elle n'était hélas pas engoncée dans un cauchemar, ses doigts étant bel et bien au nombre de dix. Aux dires de l'homme qui avait fait irruption chez elle, Lan ne put s'empêcher de voir un léger sourire en coin s'esquisser sur sa bouche naturellement boudeuse. « Encore heureux qu'ils payent, ils ont déjà assez de largeurs comme ça si vous voyez ce que je veux dire... ». Pour rester riche, le meilleur moyen étant de ne pas dépenser son argent. Et croyez-le ou non, mais les plus fortunés de ce monde regorgent d'inventivité lorsqu'il s'agit de ne pas payer leurs dus.

Mr Iced Americano indiqua ensuite avoir été entraîné toute sa vie pour réaliser les missions d'un autre genre qu'il exécutait fort bien. Une existence bien singulière, mais sûrement confortable lorsque l'on connaît le prix que peuvent valoir certaines têtes. À vrai dire, bien que cela puisse paraître glauque, la fleur était curieuse de savoir combien on avait pu payer son interlocuteur pour faire irruption chez elle et la menacer. Elle se retint toutefois de demander, ne jamais tenter le diable comme on dit.

Alors qu'elle se mouvait près de la tables basse de son salon, elle vit la main de l'autre glisser jusqu'à la crosse de son arme à feu. Prudence, toujours, surtout lorsque l'on devait côtoyer la mort quotidiennement. La tasse à café fut d'ailleurs refusée, sage décision quand on y réfléchi un instant. La neurochirurgienne, elle, ne se gêna pas pour savourer son breuvage préféré. Peut-être était-il le dernier si elle n'adoptait pas le comportement attendu ? Alors autant en profiter, la fin pouvant si vite arriver.... « Quelle sotte ! Vous proposer de consommer quelque chose. Je suppose que cela revient pour vous à prendre le risque d'être empoisonné. »

Elle marqua un temps d'arrêt en commençant à lire plus en détails le fameux contrat qui selon les dires de l'assassin était signé de la main du Diable en personne, rien que ça... Pour l'heure, tout semblait en ordre, son regard poursuivant sa lecture. « Il est vrai que de nos jours les poisons tendent à être de plus en plus nombreux et créatifs, le thallium est un  joli exemple je trouve, pas vous ? » Et voilà que la femme de science refaisait surface et ce même dans une situation aussi critique, là était une des particularités de la brune qui avait bien du mal à se laisser verser en une fois.

Poursuivant sa lecture, c'est là que l'horreur se dévoila encore plus  à ses prunelles incrédules. Elle passera sur le contenu mortifère de ce contrat qui ressemblait bien plus à une blague de mauvais goût plutôt qu'à une offre sérieuse et tangible. Et bien que chirurgienne, un goût de bile brûla la gorge de la Coréano-Chinoise. Ce torchon avait réussi à lui donner des hauts le cœur avec tant d'horreur exposé sur ce dernier.  Il fallait qu'elle se reprenne, inspirer et expirer profondément avant de rouvrir les yeux. « Et bien, il semblerait que je vais accepter l'offre du siècle ! »

Avoir la bêtise de s'amuser avec un tueur à gage ? Et bien, il faut croire que la sélection naturelle avait encore de beaux jours devant elle. Réflexion cynique, mais d'une logique implacable. À vrai dire, Lan avait du mal avec la médiocrité qui tendait de plus en plus à être érigée dans les pays occidentaux. Certes l'Asie était rétrograde sur certains points, mais elle appréciait que l'on estime les personnes travailleuses et apportant de l'importance à la culture. Elle ne put toutefois s'empêcher d'avoir un petit sourire amusé. Pas très assuré ceci dit, ce n'était pas tout les jours que l'on avait aussi près de soi une armes qui pouvait être dégainée à tout moment pour vous éliminer. Ceci dit, le jeune homme qui avait fait irruption dans son appartement aurait pu très bien le faire  de ses mains au vu de sa carrure et de celle de la frêle fleur....

Posée sur la table basse, la neurochirurgienne s'était plongée dans le contrat. Tout en continuant de converser avec son cadet, elle ne put que constater ses traits d'esprits. Certains assassins avaient la mort dans le sang, se contentant de réflexes surhumains et d'une dextérité avec les armes. Au moins elle n'avait pas à faire à n'importe qui, c'était déjà ça. Voilà de quoi plus encore la faire se questionner sur combien elle avait put « rapporter » à celui qui ne la quittait pas du regard. « Une neurochirurgienne de renom vous dites ? Et bien, je ne pensais pas être décrite de la sorte par mes pairs. » Lan n'étant pas vraiment le genre de personne à trop aimer se faire brosser dans le sens du poil, ou du moins que l'on tarisse trop d'éloges à son sujet. Elle l'accepterait peut-être si un jour elle gagnait un prix Nobel ou fait une découverte décisive, pas avant.

Ensuite, ce fut la valse  des horreurs, et malgré un cœur bien accroché, la brune avait bien faillit plus d'une fois tourner de l’œil. Dans d'autres circonstances, elle aurait été tentée de fuir, de disparaître avec son fils et de changer de vie. Mais l'homme surentraîné et mandaté expressément pour la faire signer ce fichu bout de papier ne risquait pas d'être d'accord. Quant à tenter de le soudoyer avec de l'argent, très certainement que ce dernier serait bien trop cher pour elle, son employeur premier ayant très certainement bien plus de zéro sur son compte en banque qu'elle. Et puis..... sauver Zhihao aussi rapidement, elle ne pouvait décidément pas refuser cette offre.

Aller Lan, respire... un, deux et ….. Le stylo se posa sur la feuille et manqua de la déchirer tellement la plus vieille appuyait fort sur la bille sous l'effet de la nervosité. Sa signature expédiée en un battement de cil, elle se releva ensuite pour tendre le contrat au messager. « Et bien Mr Iced Americano, il semblerait que nous allons pouvoir recommencer à prendre notre café paisiblement dès demain matin. »