Wish I could take back the time - Ren feat Gyu

Je vais finir par croire qu’on n’a pris à mon insu un abonnement pour la morgue et qu’il faut que j’y passe régulièrement pour valider leur quota de visiteurs. Venir ici est à chaque fois une épreuve pour moi et en même temps au fil du temps, une certaine lassitude a fini par s’installer. C’est à chaque fois la même chose. Je reçois un coup de téléphone de la police qui m’indique qu’on aurait retrouvé un homme correspondant au signalement de Shinji, mon meilleur ami disparu depuis maintenant… Combien de temps déjà ? J’en perds le compte à force et parfois, je veux juste ne plus y penser.

Comme à chaque fois, je suis accueilli par le lieutenant chargé d’enquêter sur la disparition de Shinji, bien qu’à mon avis, il ne soit plus qu’un dossier de plus et qu’il ne fasse plus grand-chose pour le retrouver si ce n’est prendre le temps de m’appeler chaque fois qu’apparait un cadavre d’un japonais correspondant vaguement au signalement de mon ami disparu… ou peut-être mort et enterré quelque part mais je ne veux pas y croire. J’ai le sentiment que Shinji est encore là. Bien vivant même si je ne comprends pas qu’il puisse me laisser sans nouvelle. Non il y a forcément une explication même si je n’arrive pas à l’imaginer pour le moment. De toute façon ça fait longtemps que j’ai arrêté de me tourmenter avec ça.

Je suis le lieutenant de police jusqu’à la morgue, jusqu’au présumé cadavre de mon ami et une fois de plus, ce n’est pas lui. Est-ce que je suis soulagé ? Oui parce que ça me laisse l’espoir qu’il est encore vivant. Non, parce que ça ne sera pas ma dernière visite dans cet endroit et à chaque fois que je viens ici, je ne peux pas m’empêcher de me sentir mal à l’aise. Certainement parce que je ne m’habituerais jamais au moment où on me montre le visage d’un corps sans vie.

L’identification étant terminée, le lieutenant me remercie et me laisse m’en aller. Je quitte la salle où se trouvait le cadavre et après avoir fait quelques pas dans le couloir, je me laisse tomber lourdement dans une chaise tout en poussant un profond soupir. Non je ne m’habituerais jamais à venir ici.

Je ferme un instant les yeux tout en me frottant le visage, comme si ce geste allait m’aider à faire disparaitre les images de ce corps inconnu que je viens de voir. Je devrais m’en aller, rentrer chez moi mais j’ai besoin d’un moment même si je n’aime pas particulièrement cet endroit où il fait trop froid et où cette odeur de mort flotte dans l’air. Et puis il y a ces pas qui se rapprochent. Je n’y prête pas vraiment attention. C’est certainement un médecin légiste ou un employé quelconque.

Je reconnais immédiatement sa voix. Difficile de l’oublier puisque cela fait quelques semaines que nous nous fréquentons. Ce n’est pas une histoire d’amour. Je ne suis pas son petit-ami et il n’est pas le mien. Nous sommes disons… amants ? Sex-friends ? Je ne sais pas très bien quel terme convient le mieux pour définir notre relation. Peut-être que nous n’avons pas besoin d’étiquette parce qu’il n’en existe aucune qui me satisfasse réellement. Oui certainement. Dans tous les cas, le voir me réconforte et j’ai du mal à réprimer un sourire lorsque mon regard sur pose sur lui. Il est faible et triste mais c’est un sourire quand même.
« Gyuheon… »
Ma voix est faible, légèrement étranglée. J’aurais aimé qu’elle soit plus enjouée, plus rassurante, plus ferme. Je n’aime pas l’idée qu’il puisse me voir comme ça. Peut-être parce qu’il n’est pas sensé me réconforter. C’est pourtant ce qu’il fait en s’approchant de moi et en venant s’accroupir devant moi pour me demander ce qui ne va pas. Je suis touché qu’il le fasse mais également par la sincérité que je vois dans son regard. J’hésite un instant sur quoi dire. Sur le choix de mes mots. Qu’est-ce que je suis sensé dire à mon amant lorsqu’on se rencontre par hasard dans une morgue et que je suis bouleversé par ce que je viens de voir ?

Je pousse un profond soupir et murmure d’une voix que je trouve encore bien trop tremblante à mon goût :
« Ce n’est pas la première fois mais je crois que je ne m’y ferais jamais. »
Il peut parfaitement imaginer à quoi je fais allusion. Après tout, nous sommes dans une morgue et les raisons qui expliqueraient ma présence ici sont peu nombreuses. Ajoutez à cela que ce n’est pas la première fois qu’on se croise dans cet endroit… J’aimerais lui lancer sur le ton de la plaisanterie que je voulais juste le voir mais le mensonge est trop gros et je m’en sens incapable tant la vérité me noue les entrailles et la gorge. Et puis je me souviens de la raison qui explique pourquoi lui il est ici.
« J’espère que toi tu t’y fais. »
A voir des morts à longueur de journée même si dans mon cas, ça reste différent car ce ne sont pas des inconnus que je suis censé reconnaitre. C’est un ami disparu que je recherche sur chaque visage que je viens potentiellement identifier à chacune de mes visites et je trouve ça usant psychologiquement. Mais comment le lui expliquer ? Les mots se bloquent dans ma gorge alors que j’essaie de faire bonne figure pour ne pas le faire fuir parce qu’il n’est pas censé faire ça. Je veux dire, me réconforter. Ce n’est pas son rôle et c’est certainement pour ça que j’apprécie autant ce moment. Il est très exactement ce dont j’ai besoin là tout de suite. J’aimerais tellement le lui dire mais ça pourrait l’effrayer car il pourrait mal l’interpréter. Tout comme le fait que je veuille qu’il reste encore un peu avec moi.

Si ce qu’il me dit est vrai, alors il a choisi une voie bien difficile et j’en viens même à me demander ce qui l’a poussé à choisir cette spécialité. Pourquoi s’occuper des morts plutôt que des vivants ? Si j’osais, je le questionnerais mais ce n’est pas le bon moment pour ça. Et puis je n’ai pas le souvenir que nous ayons déjà eu ce genre de conversation auparavant. Nos rencontres étaient jusqu’à présent exclusivement destinées à satisfaire notre appétit sexuel pour ne pas dire notre soif de l’autre… Du moins en ce qui me concerne car même si notre relation n’est pas exclusive, depuis que j’ai commencé à le fréquenter, mon regard ne s’est plus posé sur un autre homme. J’aimerais dire que c’est à cause du manque de temps mais ça serait mentir. De toute façon ce n’est ni le lieu, ni le moment pour penser à ça.

Je souris lorsqu’il reprend la parole sans finir sa phrase. C’est vrai que je ne lui ai encore rien raconté. Un frisson parcourt ma peau. Je déteste cet endroit mais j’ai envie de profiter de sa présence car elle me fait du bien. Je crois que j’en ai besoin, là tout de suite. J’ai envie et besoin de réconfort mais pas du même genre de réconfort qu’on se donne mutuellement en temps normal. Malheureusement, je ne sais pas si j’ai le droit de prétendre à ça. Et pourtant, il a l’air d’avoir envie de m’aider, alors peut-être…
« Tu as du temps pour m’aider à trouver la sortie de cet endroit ? Je crois que je me sentirais mieux une fois dehors… »
J’hésite, me mordant la lèvre inférieure avant de me lancer :
« Et si tu peux rester un moment avec moi, alors je te raconterais ce que je fais ici. »
Je souris faiblement et je sais que ça ne me ressemble pas d’être si triste et vulnérable. Je suis d’une nature dynamique, débordant d’énergie et souriant. J’aime croquer la vie à pleine dents et je ne m’encombre pas de broutilles qui pourraient venir entacher ma bonne humeur. Mais j’avoue que venir ici était une épreuve et il me faudra un moment pour la surmonter. Quelques heures tout au plus, du moins je l’espère car je déteste l’état dans lequel ce genre d’indentification me met.
« Dis, tu m’aides à m’extraire de ma chaise ? »
Mon sourire s’étire un peu plus comme si j’essayais d’être rassurant sur mon état. Je ne veux pas qu’il s’inquiète pour moi. Je suis un grand garçon qui saura comment surmonter ce mauvais moment même si je suis tenté de le laisser me réconforter, au risque d’y prendre goût.

OODT - Sentir sa main dans la mienne éveille chez moi un sentiment agréable bien que je ne saurais lui donner un nom mais j’imagine que ça n’a aucune importance. Ça me fait du bien et c’est tout ce qui compte. Il m’aide à me lever et effectivement je crois que sans lui je serais resté un bout de temps fixé sur ma chaise. Je peine à me mettre debout mais une fois fait je sais que je saurais marcher sans avoir besoin d’être soutenu, surtout si c’est pour déguerpir de cet endroit particulièrement malaisant. J’aimerais dire que c’est la dernière fois que je viens ici mais je sais que c’est faux. Disons donc que j’en ai simplement fini pour aujourd’hui.

Sa remarque m’arrache mon premier vrai sourire et sans réfléchir, je lui réponds d’un air un peu taquin :
« Mon dieu, que ferions-nous sans des jeunes de ton genre ? »
Je me sens un peu revivre grâce à lui. Je mettrais du temps à oublier ce que je viens de vivre et voir mais je crois que s’il reste un peu avec moi, ça ira. Je passerais plus vite à autre chose parce que c’est dans ma nature d’avoir le courage de surmonter les obstacles sans me laisser abattre bien longtemps.

Sa main se pose sur mon épaule et son regard en dit long sur ce qu’il pense. Il n’a pas besoin d’utiliser des mots pour se faire comprendre. Je pense que lui et moi avons l’habitude de communiquer autrement. D’une certaine manière, nous avons pris l’habitude de lire dans le langage corporel de l’autre même si d’habitude c’est pour nous livrer à bien d’autre activité qui ne sont pas à l’ordre du jour. Ce n’est ni le lieu, ni le moment et pourtant, nous allons malgré tout passer un peu de temps ensemble. D’une manière différente, surprenante mais certainement tout aussi agréable.
« Alors c’est parfait. »
Le regard que je lui adresse doit clairement lui faire comprendre qu’il est à cet instant mon sauveur mais surtout tout ce dont j’ai besoin pour fuir cet endroit où la mort devient étouffante.
« Choisi l’endroit où on déjeunera et où je pourrais me changer les idées. Surprends-moi, c’est moi qui t’invite pour te remercier de t’improviser preux chevalier le temps de ta pause déjeuner. »
Je connais mal le quartier et les endroits où on peut s’évader le temps d’avaler un déjeuner mais finalement peu importe l’endroit tant que je suis avec lui et qu’il m’emmène loin d’ici. Je le suis jusqu’à l’ascenseur qui ne tarde pas à nous ramener à la surface et quelques instants plus tard, je peux enfin respirer l’air extérieur, poussant au passage un profond soupir alors qu’une légère brise soulève mes mèches.
« Je ne sais pas comment tu fais pour supporter cette ambiance. Il faudra que tu m’expliques pourquoi tu as choisi cette voie. »
Mais avant ça, j’ai moi aussi une histoire à lui raconter.

OODT - Est-ce que je l’ai vexé ? Non je ne crois pas mais comment en être tout à fait sûr ? Après tout, je réalise qu’en dehors de nos parties de jambes en l’air, on passe bien trop peu de temps ensemble pour pouvoir se connaitre suffisamment et correctement. Je le regrette mais je ne serais pas celui qui réclamera ce genre de moment. Il n’y aurait rien de pire pour le faire fuir et ce qui se passe aujourd’hui entre nous et à la fois exceptionnel, spontané et précieux.
« Là, tu interprètes un peu trop mes paroles mon cher Gyu parce que je n’ai jamais dit ça. »
Je lui adresse un sourire qui me ressemble un peu plus alors que je me rapproche suffisamment de lui pour lui donner un léger coup d’épaule. Un peu plus loin se dessine déjà le restaurant où nous allons déjeuner. On dirait un Italien et c’est parfait. Ça va me changer de la cuisine asiatique et le décor va davantage se prêter à laisser mon imagination vagabonder pour que j’oublie plus facilement ce que je viens de voir et vivre même si je compte lui en parler. Mais peut-être que ça sera moins difficile et douloureux.
« Je ne sais pas s’il y a un bon profile pour le métier que tu veux faire mais si tu arrives à oublier tout ce que tu vois et à bien dormir le soir, alors je te souhaite de faire une belle carrière dans la médecine légale. »
Je n’insiste pas pour connaitre les motifs de son choix. Je crois qu’il doit y avoir une histoire derrière et des motivations qui lui sont propres mais peut-être que nous ne sommes pas suffisamment intimes pour qu’il veuille les partager avec moi. Je ne lui en tiens pas rigueur. Il y a des choses difficiles à raconter ou qu’on ne veut pas partager avec n’importe qui. Malgré moi, l’idée d’être justement n’importe qui m’attriste mais je chasse rapidement cette dangereuse pensée. Je n’ai pas à l’être. Lui et moi avons une relation très claire. Il n’y a que du sexe entre nous, ni plus ni moins. Et s’il doit y avoir plus un jour, ça ne viendra certainement pas de moi.

Alors que nous arrivons près du restaurant, une douce odeur vient me chatouiller les narines. Je prends alors son poignet et le tire pour l’obliger à avancer plus vite :
« Viens vite. J’ai faim et crois-moi c’est bon signe ! »
Est-ce que je suis déjà remis ? Non mais disons que ce déjeuner que je vais partager avec Gyu me semble si surréaliste et en même temps, il me fait tellement plaisir que je me sens mieux mais peut-être parce qu’il est avec moi et que sa présence est réconfortante.