Même si ma nouvelle affectation dans cette ville n’était pas si différente de mon ancien boulot, il m’a fallu du temps pour m’y habituer. Ne serait-ce que la langue. Bien que ça soit ma langue maternelle, elle m’est dorénavant presque étrangère. La parler à nouveau m’offre d’étranges sensations, comme si c’était un autre qui parlait à ma place, un autre que j’ai enterré il y a longtemps. Je n’avais pas prévu de m’attarder dans la capitale quand j’ai quitté New-York mais en revoyant ma famille, j’ai pu vite comprendre qu’ils n’avaient pas fait appel à moi simplement parce que je leur manquais. C’est ainsi que je me retrouve à travailler dans la police coréenne et j’avoue que je ne m’y sens pas à ma place. Dorénavant, je suis un étranger dans ce pays et ça ne me dérangeait pas quand j’ai pris la décision de le devenir. Je ne pensais pas que je serais « contraint » à m’y installer une nouvelle fois. Je n’ai eu aucun mal à rejoindre la police de la ville, les recommandations de mes supérieurs américains ne sont pas négligeables et j’ai simplement intégré le poste en tant que nouvel inspecteur.
Il est tout à fait justifié de se demander ce qui m’a poussé à prolonger mon séjour ici. Mes parents ont toujours connu cette partie de moi faible, trop gentille et un poil trop justicière. Il a suffi qu’ils me parlent de disparition et de proches qui ne réagissent pas pour que ma curiosité soit éveillée. Malgré tout, je suis décidé à ne pas rester ici à long terme, prévenant simplement mon unité à New York que je veux me pencher sur une affaire coréenne avant de rentrer au pays. Séoul n’a pas tant changé et je crains que ses habitants soient aussi restés les mêmes. Sur les millions de personnes présentes dans la capitale, quelles sont les chances pour que je la recroise ? J’ose espérer qu’elles sont moindres voire inexistantes.
Perdu dans mes pensées, je n’ai pas entendu les interpellations de mon collègue et ce n’est qu’en le voyant approcher avec un air presqu’exaspéré que je suis sorti de mon monde. Avec un léger sourire face à ses traits grincheux, j’accueille avec un certain plaisir l’information qu’il m’apporte et regarde le dossier que j’ai distraitement ouvert en arrivant au poste. La jeune femme qui m’attends n’est autre que la fiancée du disparu, ça n’a pas été facile de la trouver, c’était comme si le jeune homme n’avait aucune famille, aucune attache mais j’en ai trouvé une. Je ferme le dossier, le prends sous mon bras, attrape mon café et rejoins la salle d’interrogatoire. J’observe la jeune femme quelques secondes par la vitre de la porte avant d’ouvrir celle-ci et de rejoindre la fameuse fiancée. Elle n’est pas coréenne mais ça ne me surprend pas tellement au vu de son nom quand j’ai trouvé sa trace et j’ai comme l’impression que je ne pourrais pas lui faire confiance. Je finis alors par pousser la porte et pénétrer la pièce peu accueillante, contrairement à mon sourire qui se veut rassurant malgré la situation.
-Bonjour mademoiselle Muñoz, désolé de vous avoir convoqué aussi brusquement mais j’aimerais vous poser quelques questions à propos de votre fiancé et de sa disparition.
Je m’installe en face d’elle, dépose le dossier si peu rempli et mon café, un peu plus loin pour être sûr de ne pas tâcher les feuilles en cas de maladresses. Je reporte ensuite mon regard vers la dénommée Aitana. Je comprends vite pourquoi elle me laisse une étrange impression, croiser son regard sans émotion m’offre une sensation de malaise que je ne laisse évidemment pas paraître.
-C’est étrange que vous n’ayez pas signalé sa disparition et vous ne semblez pas particulièrement inquiète... Vous avez une idée d’où il pourrait être ?
J'étais loin d'être sereine. Une convocation au poste de police. Rien que ça. Mes parent ont beau dire ce qu'ils veulent, j'étais bien obligée de m'y rendre. On ne plaisante pas avec les forces de l'ordre. Et je n'ai absolument pas envie de faire ou de provoquer une quelconque histoire que les médias seront bien contents de répéter. Ma carrière et mon influence sont en jeu. Ce qui est cependant étrange, c'est qu'il n'y avait noté aucune mention ni raison précise. Seulement... Ouverture d'une enquête. Mais quelle enquête ? Et en quoi est-ce que cela me concerne ? Je ne suis pourtant mêlée à aucune mauvaise affaire. Du moins, plus maintenant. Ce passé est derrière moi. Peut-être que l'un des couples que j'ai eu en clients a quelques soucis. Si tel est le cas, ce rendez-vous imprévu sera vite réglé. Je ne suis que leur Wedding Planner et non pas leur psy. Je ne connais rien de leurs vies respectives et privées. C'est donc le coeur reposé et détendu que je rejoins l'inspecteur qui souhaite me rencontrer.
- Que je l'attende... Ici ? demandais-je, à nouveau, au policier qui vient de m'accompagner jusqu'à cette salle lugubre. Suis-je une criminelle pour être reçue de manière si peu convenable ?
Je soupire en voyant qu'il ne prend même pas la peine de me répondre et vais donc prendre place. Dès que toute cette histoire sera réglée, ils vont entendre parler de moi. J'en fais le serment. Quelle idée franchement de me faire patienter ainsi. À croire que je suis accusée de quelque chose. Ils doivent faire erreur... Non ?! À moins que l'ancienne Aitana ait fait des bêtises qui viennent d'être découvertes ? Si c'est le cas, je la sortirais de son tombeau pour la tuer de nouveau, cette garce.
- Vous voilà, enfin ! dis-je, en rencontrant l'inspecteur responsable de ma situation actuelle. Pardon ? Vous avez dit... mon fiancé ?
Sa question a beau me laisser indifférente à l'extérieur, il n'en est rien à l'intérieur de moi. De quoi est-ce qu'il parle ? Ou plutôt de qui... ? L'un de mes anciens fiancés ? Impossible. Personne n'est censé se souvenir d'eux ni même pouvoir remonter à moi. Il doit forcément parler du nouveau. L'actuel. Je joue donc celle qui est perdue et qui ne comprend pas bien.
- Vous devez faire erreur sur la personne... Mon fiancé n'est pas porté disparu, je lui ai parlé pas plus tard qu'hier soir !
Je mentionne rapidement son fiancé et c’est étrange mais j’ai l’impression qu’elle ne s’attendait pas à ce que je l’interroge là-dessus. Difficile à dire en vérité, il semble au premier abord qu’elle soit le genre de femme à parfaitement cacher son jeu. Je hoche simplement la tête, confirmant que c’est bien de son fiancé que je parle. Je bois une gorgée de mon café en la fixant alors que ses traits changent et qu’elle a l’air plutôt perdue. Je suis plutôt surpris par sa réponse comme elle m’apprend le plus naturellement possible qu’elle a parlé à son fiancé hier soir. Je fronce les sourcils et ouvre alors mon dossier pour lui tendre une photo du jeune homme disparu.
-Vous parlez bien de cet homme ? Il me paraît impossible que vous lui ayez parlé hier soir, voilà plusieurs semaines que personne ne l’a vu.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour remonter jusqu’à elle, mes parents savaient qu’il était fiancé mais n’avaient aucune idée de qui était l’heureuse élue. Celle-ci commence plutôt mal l’interrogatoire si elle me ment déjà. Ou peut-être est-ce la vérité mais ça m’étonnerait, comment pourrait-elle s’être fiancée aussi vite ? Je ne la quitte plus des yeux, cherchant la moindre expression pouvant passer sur ses traits si froids.
-Je sais de source sûre que vous êtes ou que vous avez été fiancée à cet homme alors ne perdons pas de temps avec les mensonges, si vous voulez bien. Quand est-ce que vous l’avez vraiment vu pour le dernière fois ?
Il ne me croit pas. Cela se voit à travers ses yeux et je ne peux m'empêcher de craindre, ne serait-ce qu'un peu, la suite de cet interrogatoire. J'aimerais bien savoir duquel on parle, exactement. Mais il y en avait tellement eu qu'essayer de deviner son identité était comme jouer à la roulette russe. Je le vois, enfin, ouvrir son dossier. Il va très certainement me montrer une photo. Ainsi, je pourrais comprendre de quel fiancé il parle. Il était bien évident qu'il me parlait d'un ancien. Un de ces hommes que j'ai envoyé en cobaye au laboratoire. Et il est vrai que savoir son nom ne va pas m'aider ni même me sortir de là. Est-ce que quelqu'un a souhaité me piéger ? Ce serait pour cela que cet inspecteur a réussi à arriver jusqu'à moi. Je ne vois pas comment il aurait réussi ce miracle, autrement.
- Ah... Vous parlez de lui... dis-je, d'un ton quelque peu agacé.
Il s'attend à des réponses ? Il est persuadé de savoir qui je suis, non ? Il va en avoir des réponses et il en fera ce qu'il veut.
- Oui, j'ai été sa fiancée. Et la dernière fois que je l'ai vu, c'est quand cet enfoiré m'a avoué me répudier pour une autre et qu'il est parti avec elle, quelques jours avant notre mariage ! Il a ruiné ma vie, car depuis mes parents m'ont arrangé un autre mariage. Alors quand vous le retrouverez, si vous pouviez le frapper de ma part... Je vous en serais redevable !
La colère. La tristesse. La déception. Laisser passer toutes ces émotions dans ma réponse et dans ma façon de me comporter est facile. Cela fait si longtemps que je joue la comédie et que je m'obstine à être une fille que je ne suis pas. Il ne pourra jamais remettre en cause ce que je viens de lui dire. Mon futur mariage arrangé est une réelle affaire qu'il pourra confirmer en parlant avec mes parents. Et s'il venait à aborder le sujet de cet ancien fiancé, ils auront la même réponse que la mienne. Un homme qui a finalement eu peur de l'engagement et qui s'est enfui avec la première fille du coin. C'est bien connu que les coréens ne sont pas assez sérieux en amour.
Quand je lui montre la photo du disparu, elle semble comprendre de qui je parle. Je ne réponds rien, j’attends ses explications, peut-être pourrait-elle me donner des indications qui m’aideraient à retrouver le jeune homme mais j’ai comme des doutes. Elle me confirme alors que mes sources étaient justes et qu’elle avait bel et bien été fiancée à cet homme. Sa voix se déforme dans des émotions négatives montrant une rancune particulière envers son ex. D’après ce qu’elle me dit, elle a ses raisons de lui en vouloir, je peux facilement imaginer que ce genre de situations ne laisse pas de bons souvenirs.
-Je vois, ils n’ont pas perdu de temps pour vous fiancer avec un autre homme. Un petit sourire se dessine sur mon visage alors que je lui tends une feuille. Je vais vous demander de me donner les coordonnées de vos parents et de ceux qui organisaient votre mariage pour que je puisse les interroger également.
Je la laisse me donner ces informations alors que de mon côté, je continue de réfléchir. Elle semble particulièrement énervée contre ce fiancé mais je n’ai pas l’intuition qu’elle puisse s’être vengée. J’ai comme l’impression d’être déjà dans une impasse. Ma seule piste est cette jeune femme mais ce qu’elle vient de m’apprendre ne m’avance pas du tout. Une fois les coordonnées écrites, je récupère la feuille et décide de lui poser quelques autres questions avant de la laisser partir.
-Est-ce que vous auriez une adresse où je pourrais le trouver ? Vous êtes la seule à vous rappeler de lui, même sa famille semble l’avoir oublié. Comme je vous l’ai dit, voilà plusieurs semaines qu’il a disparu, vous êtes peut-être la dernière à l’avoir vu avant sa disparition. Où étiez-vous lorsque vous vous êtes vu pour la dernière fois ?
Sa réflexion sur mes parents me fait sourire. Si j'essaie d'être le genre de femme pour qui rien n'a d'importance, le fait de devoir subir un mariage arrangé me met hors de moi.
- Peut-être pourriez-vous leur en toucher deux mots ? Je suis loin d'être emballée, croyez-moi...
Je soupire. Bien entendu, je sais qu'il ne pourra rien y faire. Comment le pourrait-il de toute façon ? Je regarde la feuille qu'il me tend et l'écoute me donner ses instructions. - Très bien. Sachez que l'organisatrice du mariage, c'était moi-même. Je suis Wedding Planner. Mais je vais vous donner les contacts de ceux à qui j'ai fait appel pour la cérémonie.
Et sur ces derniers mots, je prends le stylo et vais noter sur la feuille vierge le nom et les coordonnées des personnes qu'il peut joindre sans que cela ne me porte préjudice. J'y note également les coordonnées de mes parents. Je lui rends, par la suite, sa feuille. - Me trahir et partir ainsi avec une autre a été une honte pour sa famille. Voilà pourquoi personne ne pense encore à lui. Tout le monde souhaite l'oublier. Il a blessé beaucoup de monde autour de lui, des personnes qui l'aimaient beaucoup. Je vous le redis, ce n'est pas une disparition... Il est parti. Il a fui sa vie et sa fiancée pour une femme trouvée je ne sais où. Croyez-moi, je le connais. Si vous n'avez rien d'autre que mon nom pour le retrouver, alors c'est que son plan a fonctionné. Il a eu envie de disparaitre pour ne pas être retrouvé... J'ignore pourquoi mais il faut croire que cette femme méritait autant de sacrifices...
Je soupire et baisse légèrement la tête pour regarder mes mains.
- Je l'ai sincèrement aimé, vous savez... Rien que me rappeler l'amour que j'avais pour lui et la souffrance qu'il m'a causé en m'abandonnant ainsi du jour au lendemain, sans explications...
Mes mains deviennent tremblantes et je relève la tête pour le regarder de nouveau. Quelques larmes coulent sur mes joues.
- Je ne veux plus entendre parler de lui... Je ressens encore trop de douleur...
Elle me demande de leur en parler et l’idée d’aller voir les parents d’une inconnue pour une leçon sur le mariage arrangé me semble loufoque. Un petit sourire amusé passe sur mes lèvres et je ne comprends pas comment une coutume aussi ancestrale a encore sa place dans la société actuelle. Pourtant, aussi policier et justicier que je sois, je ne pourrais rien faire pour elle.
-J’essayerais d’en parler quand je les rencontrerais mais je pense que vous devriez plutôt espérer qu’il disparaisse aussi !
Je me rends compte que c’est un peu déplacé et mon sourire se transforme en légère grimace. Je tente de reprendre mon côté professionnel et lui propose alors de me donner de quoi contacter sa famille et ceux qui organisaient le mariage. J’apprends alors qu’elle se chargeait elle-même de la cérémonie mais accepte tout de même de me donner ceux qu’elle a contactés. Quand elle me rend la feuille et que je parcours les numéros inscrits dessus, je commence à douter de mon intuition. Je n’aurais peut-être pas dû écouter mes parents et leur paranoïa. Elle m’explique alors longuement en quoi ce n’est pas une disparition mais une fuite et que si les parents du jeune homme nient son existence, c’est par honte. J’écoute son monologue sans la couper, cette histoire ressemble simplement à un homme qui a fui sa vie, rien qui ne mérite qu’on se penche dessus comme je l’ai fait. Comme je l’observe me parler de son ex, je ne perçois aucun mensonge dans sa voix et dans ses larmes. Elle est de toute évidence encore très bouleversée par cette rupture, j’ai déjà vu pas mal de femmes se répandre en larmes dans une salle d’interrogatoire. Certaines sont ridicules parce que leurs larmes sont fausses mais quand je regarde Aitana Muñoz, je n’arrive pas à voir de mensonges.
-Je vois, je suis désolé de faire remonter tous ces souvenirs à la surface. Ce sont des amis de sa famille qui ont signalé sa disparition, ils n’étaient sûrement pas au courant de toute l’histoire.
Je glisse la feuille dans le dossier et referme celui-ci avant de me redresser avec un léger sourire. Je me lève alors et l’invite à en faire de même.
-Je pense que vous m’avez dit tout ce que je voulais savoir, merci de vous être déplacée. Je peux vous offrir un café du commissariat ?
Il me dit qu'il peut toujours essayer et cela me fit sourire doucement. Il me dit alors que je devrais plutôt espérer que ce fiancé disparaisse également et je me demande s'il a la moindre idée de ce qu'il va lui arriver. Car c'est certain, il ne restera pas longtemps à ce poste ! Certainement pas. S'il avait le moindre doute, il m'arrêterait directement. Je souris doucement et tente alors une approche pour détendre l'atmosphère et lui montrer que je ne lui en veux pas d'avoir dit quelque chose de légèrement déplacé tout de même.
- Ou alors, vous pourriez devenir mon fiancé, à sa place ! Je suis certaine que vous feriez un bien meilleur parti !
C'est ensuite que mon jeu d'actrice est le plus important. Je me dois d'être convaincante. Je n'ai pas trop de mal à l'être. Je mens depuis des années et je suis devenue une véritable professionelle. Je sais émouvoir, je sais attrister, je sais tout faire. Si je souhaite transmettre une émotion, j'y arrive forcément. Heureusement. Je ne pourrais pas être en étroite collaboration avec le laboratoire, sinon. En tout cas, il semble boire mes paroles et me croire sur parole. Ce qui me rassure. Je n'aurais donc pas besoin de me débarrasser de lui. J'espère sincèrement qu'il appellera mes contacts, ainsi que mes parents, et qu'il s'arrêtera là. Qu'il n'ira pas chercher plus loin. Sinon, on ne risque pas d'être de bons amis lui et moi. Ce qui serait dommage, mignon comme il est.
- Vous ne faites que votre travail... dis-je, en essuyant mes yeux.
Je me lève lorsqu'il m'invite à le faire et souris doucement lorsqu'il me propose un café. Les yeux légèrement rougis, j'acquiesce.
- J'espère qu'il est bon ! dis-je, en riant un peu.
Elle propose carrément que je prenne la place de son fiancé et je ris un peu nerveusement alors que je n’ai pas l’habitude qu’on me propose ce genre de choses dans la salle d’interrogatoire. Je passe une main dans ma nuque et souris à la jeune femme en secouant doucement la tête.
-Au vu de votre famille, je crois que je ne serais pas le meilleur parti, je ne suis qu’un inspecteur après tout !
Il semble que cette discussion fasse remonter des souvenirs qui bouleversent considérablement la jeune femme. L’homme que je recherche a dû la blesser profondément et elle devait l’aimer sincèrement pour réagir de cette façon, elle qui semble avoir un tel contrôle. Je l’invite alors à prendre un café du commissariat avant de partir puisque je l’aurais presque fait venir pour rien. Elle accepte en essuyant ses larmes et en retrouvant son sourire et nous quittons la salle d’interrogatoire. Je l’invite à me suivre jusqu’à la machine à café où je commence à préparer les deux boissons chaudes dans les tasses marquées du logo de mon lieu de travail. Alors que le liquide noir s’écoule longuement dans les contenants, je me tourne vers Aitana.
-Alors vous êtes organisatrice de mariage ? Vous dirigez une entreprise ou vous travaillez en indépendante ?
Il me dit ne pas être un bon parti et cela me fit légèrement sourire. Pourtant, cette plaisanterie me donne une petite idée. Je me dis que je devrais me méfier de lui et quoi de mieux que de le garder à mes côtés pour bien le surveiller et m'assurer qu'il ne me posera aucun problème ? Je me dis, alors, qu'au fond.. il pourrait bien être un bon parti pour moi. Et je suis même certaine qu'en expliquant la situation à mes parents, ils finiraient par comprendre et par accepter une possible relation entre leur fille chérie et un inspecteur, justement. Persuadés que je m'en débarrasserais comme pour tous les autres. Je me promets, alors, d'en toucher deux mots avec mes parents en rentrant à la maison. Je me dois de protéger mes arrières. Personne ne le fera pour moi. Mes parents non plus. Je le sais. Je suis seule et je me dois de tout faire pour ne pas tout perdre. J'ai déjà tant perdu. Je refuse de perdre davantage.
- C'est bien ça. Je suis également Designer. Je réalise, surtout, les robes de mariées de mes clientes. En indépendante. Bien que je sois en étroite collaboration avec plusieurs professionnels du milieu.
Je cherche alors dans mon sac et en sors une petite carte de visite. Je la lui tends, en souriant.
- Si jamais... Pour vous ou pour l'un de vos proches ! Je suis de loin la meilleure.
Je ris doucement puis regarde ensuite la machine à café. Et plus particulièrement les tasses qui attendent que le café soit prêt à l'intérieur.
Elle m’explique son boulot qui consiste à faire les robes de mariée en grande partie. Je hoche la tête avec un petit sourire, c’est un étrange métier. Je n’en ai entendu parler qu’une fois, dans un film ridicule qui devait passer pendant Noël et qui mettait en scène une fille célibataire qui passait son temps à marier les autres sans jamais se marier. Ce n’est de toute évidence pas le cas d’Aitana qui n’en est pas à son premier fiancé. Elle me tend alors une petite carte de visite après avoir fouillé longuement dans son sac et je ris un peu en acceptant tout de même le bout de papier.
-Merci, même si je ne connais pas grand-monde et que de mon côté, je ne prévois pas de me marier.
Je range la carte dans une de mes poches avec un petit sourire gêné, presque désolé de ne pas pouvoir lui faire de pub. Les cafés étant enfin prêts, je retire les tasses remplies de la machine et lui en tends une. Je me demande comment j’ai pu penser qu’elle soit mêlée à tout ça. Évidemment, je n’abandonne pas mon enquête tant que je ne sais pas où est son ex mais elle n’a sûrement rien à voir avec cette affaire.
-Alors vos parents organisent votre mariage ? Ils l’avaient fait aussi pour votre précédent fiancé?, je souris, un peu mal à l’aise, Désolé, vous n’êtes pas obligée de répondre si c’est trop personnel, je suis de nature curieux !
Tiens donc. Ce charmant jeune homme ne prévoit pas de se marier ? Cela me fit sourire discrètement. Je jure de le faire changer d'avis. Je ne relève, cependant, pas et me contente d'agiter légèrement la tête. Comme un accord entre nous. Je lui souris et le remercie lorsqu'il me tend ma tasse que je prend au creu de mes deux mains. Je souffle doucement dessus avant de poser mes yeux sur le fameux inspecteur responsable de ma visite au poste. Je souris, amusée par sa curiosité.
- C'est exact. Ils sont pressés de me voir mariée ! Je ris légèrement. Et les vôtres ? Ne sont-ils pas pressés de découvrir la femme de votre vie ?
Je goûte ensuite une gorgée du café qu'il m'a si gentiment proposé et offert. Je ne pus m'empêcher de grimacer. Il est chaud. Certes. C'est une chose. Mais il est loin d'être bon et cela me fit rire légèrement de nouveau.
- J'ai connu meilleur ! Si vous venez à me contacter, je vous offrirais un bien meilleur café !
C'était comme si je lui en faisais la promesse. Après tout, il se pourrait que l'on se revoit. C'est vrai, dans un premier temps ma carte était pour les affaires mais il peut profiter de mes coordonnées pour simplement prendre de mes nouvelles et m'inviter à sortir. Maintenant que j'y pense, je me dis qu'il ne le fera sans doute pas. Par respect pour mon nouveau fiancé, sans doute. Tant pis. Je prendrais les devants avec lui.
Alors que le café est enfin prêt et que je lui sers sans grande conviction, connaissant la qualité de cette boisson, elle m’explique que ses parents sont pressés de la marier. Je ne comprends pas vraiment comment une famille peut encore imposer ce genre de traditions à leurs enfants. C’est comme empêcher quelqu’un de vivre, de connaître ce qu’est vraiment l’amour, je suppose que dans les familles riches, c’est encore quelque chose qui se fait comme si c’était normal. Elle me retourne la question et une expression gênée traverse mon visage alors que je trempe mes lèvres dans la boisson chaude.
-Mes parents ne sont pas du genre à me mettre la pression, tout ce qui compte, c’est que je sois heureux., je pince les lèvres et passe une main presque nerveuse dans mes cheveux, Je pense surtout qu’ils s’imaginent que je suis aromantique, je ne leur ai jamais présenté de petite amie…
Et pour cause : mon travail m’empêche presque toute relation sociale mais c’est un choix que j’ai fait. N’être jamais tombé amoureux me permet de ne pas regretter ce sentiment. Une femme comme Aitana, belle et riche, n’a sûrement aucun mal –même inconsciemment- à faire craquer les hommes et l’amour a probablement croisé sa route à plusieurs reprises, avec son ex par exemple. Évidemment, je la trouve moi-même belle mais reconnaître la beauté d’une femme n’est pas un gage d’amour. Elle grimace en goûtant au café et je souris, légèrement amusé, alors qu’elle le trouve sans doute mauvais. Je m’y suis habitué de mon côté, il est pour moi comme un médicament qui accompagne mes longues nuits blanches que je passe ici. Elle reconnaît vite qu’elle a connu meilleur et m’annonce que si je venais à la contacter, elle me ferait goûter un café de qualité. Je me rappelle alors la carte de visite dans ma poche, comme si je l’avais déjà effacée de ma mémoire. Après tout, je ne pense pas la revoir si ce n’est pour l’enquête. L’avoir rencontrée sur mon lieu de travail met une barrière professionnel entre nous et son fiancé en met une seconde. Elle est charmante et sa dernière phrase sonne comme une invitation à des retrouvailles dans un autre cadre mais je suis du genre à toujours rater les plus belles opportunités à cause de valeurs que certains nommeraient « stupides ». Dans une politesse accompagnée d’un sourire entendu, je me refuse à gâcher cette agréable conversation en la rembarrant froidement.
-Pourquoi pas ! Si je rencontre « la femme de ma vie », je voudrais sûrement lui offrir le mariage le mieux organisé !
Je l’invite à abandonner le café, ne voulant pas qu’elle s’empoisonne avec en se forçant à le finir, et dépose nos tasses sur la table avant de me rappeler que je n’ai pas qu’une seule affaire à gérer et qu’elle a sûrement de nombreuses organisations de mariage à planifier. Toute bonne chose a une fin et il semble que notre conversation se termine.
-Je pense que je peux vous libérer, vous m’avez été d’une grande aide et d’une excellente compagnie mais vous avez sûrement bien mieux à faire que de rester dans un poste qui ne sert même pas un bon café !, je ris légèrement et l’invite à me suivre, Je peux vous raccompagner si vous le souhaitez ?
Il finit par me parler vaguement de ses parents et je l'écoute attentivement. Ce qu'il me dit me fit doucement sourire. En fait, à l'entendre, j'eus comme une sorte de flash. Celui de mes véritables parents. Soudainement, je ressentis comme une pointe de tristesse au fond de mon cœur. Que deviennent-ils depuis tout ce temps ? Est-ce qu'ils vont bien ? Est-ce qu'ils sont heureux malgré la perte de leur fille unique ? J'ai souvent hésité à retourner les voir et à leur raconter la vérité. Mais est-ce qu'ils m'auraient vraiment pardonné ? Je pense. Par contre, je n'aurais jamais pu m'aimer et me regarder dans une glace si je devais leur faire face et leur avouer l'horrible chose que j'ai commise par pure jalousie. Même s'ils venaient à me pardonner et à me vouloir dans leur vie, je finirais par me détester car je me rendrais compte que mes parents étaient simplement les meilleurs que je pouvais avoir dans cette vie. Il n'y a pas à dire, ma nouvelle vie n'est pas vraiment à plaindre. J'ai de l'argent, une famille influente, de nombreuses connaissances, un très bon travail, des amis merveilleux - bien qu'ils soient très peu nombreux - et je rends facilement amoureux les hommes que je rencontre. Mais est-ce vraiment une belle vie ? Lorsque j'étais moi... j'avais également très peu d'amis mais ils étaient sincères. J'avais l'un de mes plus proches amis fou amoureux de moi... Pour preuve, il m'a suivi dans ma folie avant de se suicider... Aurais-je pu être heureuse en sortant avec lui puis en l'épousant lorsque nous aurions été adultes ? Je le pense. Mais je ne préfère pas m'attarder sur la question, de peur de replonger dans un passé destructeur. Ce qui me manquait cruellement, c'était l'argent. Et pour ça, j'ai sacrifié mes deux amis dont celui qui m'a aimé plus que sa propre vie. J'ai également sacrifié mon corps, mes origines, mon nom et mes parents. Je suis un monstre... Je souris légèrement en coin, à cette pensée.
- Vous avez de la chance d'avoir de tels parents, croyez-moi.
J'ai fini par parler pour couper moi-même le fil de mes pensées noires. Je ne dirais pas que je l'envie. Même si ses parents doivent être extra. Je suis certaine que lorsqu'il aura une petite amie à leur présenter, ils seront de vrais parents pour elle aussi. J'ai ce ressentiment. Et c'est pourquoi ça me donne encore plus envie de le revoir et d'organiser quelque chose entre nos deux familles. Mais alors que je lui lance une perche, il préfère ne pas la saisir mais je ne lui en tiens pas rigueur. Après tout, je suis fiancée. Bien que la pauvre jeune femme que je suis va bientôt subir une nouvelle rupture douloureuse. Il me dit alors qu'il est temps pour moi d'être libérée mais cela sous-entends surtout qu'il a du travail qui l'attend. J'acquiesce en souriant et accepte, ensuite, volontiers qu'il me raccompagne.
Elle dit que j’ai de la chance d’avoir de tels parents et cette phrase ne me surprend pas tellement. Je ne sais pas si ses parents sont bienveillants avec elle mais le fait qu’ils la forcent à se marier sans attendre qu’elle se remette de sa récente rupture me fait penser qu’ils n’ont pas les meilleures intentions. Mes parents m’ont toujours compris, ils ont acceptés mes changements radicaux suite à la morte de mon meilleur ami, ils m’ont même aidé financièrement pour les nombreuses opérations. Même après les avoir laissé pour vivre en Amérique, ils ont continué de me considérer comme leur fils et j’ai gardé contact avec eux. C’est pour cette raison que je suis revenu dès qu’ils me l’ont demandé : je suis leur fils unique, s’ils ont besoin de moi, quelle que soit la raison, je dois être là. Pourtant, cette enquête fonce droit sur un mur sans pour autant que je sois satisfait des réponses qui m’ont été apportées. Je garde mes pensées pour moi, la jeune femme n’a pas à savoir que l’enquête sur la disparition du jeune homme est loin d’être finie car j’ai la ferme intention de découvrir où il a fui. Je lui propose alors de la raccompagner hors du bâtiment et elle accepte sans grande surprise. Après avoir déposé nos cafés, je la guide vers la sortie, attirant quelques regards intrigués. Mes collègues me connaissent déjà suffisamment pour savoir que je ne suis pas un homme à femmes. Une fois à l’extérieur, je suis surpris de découvrir qu’une voiture semble attendre mademoiselle Muñoz devant le poste de police. Elle doit être attendue et cette entrevue a sûrement été considérée comme une perte de temps.
-J’ai l’impression que vous avez aussi beaucoup de choses à faire., je lui souris et lui tends la main en guise d’au-revoir, Merci encore une fois de vous être déplacée, je vous souhaite tous mes vœux pour votre futur mariage.
D’une petite courbette typiquement asiatique, je salue la jeune femme et prend congé pour retourner à l’intérieur de mon lieu de travail.
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